L'Empire du moindre mal by Jean-Claude MICHEA

L'Empire du moindre mal by Jean-Claude MICHEA

Auteur:Jean-Claude MICHEA
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Climats


[G]

La logique libérale définit un tableau à double entrée. Dans ce tableau, la droite moderne (celle qui a définitivement renoncé, depuis la Libération, à rétablir l'alliance du trône et de l'autel) représente le mode d'entrée privilégié par le Marché et son expansion perpétuelle. La gauche moderne (celle qui a définitivement renoncé, depuis le Mai 68 étudiant, au compromis historique passé avec le mouvement ouvrier socialiste lors de l'affaire Dreyfus) représente le mode d'entrée privilégié par le Droit et sa culture transgressive16. L'une procède plutôt de Turgot et d'Adam Smith, l'autre plutôt de Benjamin Constant et de John Stuart Mill (parfois revêtus, il est vrai, du manteau de cuir de Trotsky, pour de vagues raisons historiques encore partiellement agissantes). C'est pourquoi le clivage droite/gauche, tel qu'il en est venu à fonctionner de nos jours, est la clé politique ultime des progrès constants de l'ordre capitaliste (a). Il permet, en effet, de placer en permanence les classes populaires devant une alternative impossible (b). Soit elles aspirent avant tout à être protégées contre les effets économiques et sociaux immédiats du libéralisme (licenciements, délocalisations, réformes des retraites, démantèlement du service public, etc.), et il leur faut alors se résigner, en recherchant un abri provisoire derrière la gauche et l'extrême gauche, à valider toutes les conditions culturelles du système qui engendre ces effets. Soit, au contraire, elles se révoltent contre cette apologie perpétuelle de la transgression, mais en se réfugiant derrière la droite et l'extrême droite, elles s'exposent à valider le démantèlement systématique de leurs conditions d'existence matérielles, que cette culture de la transgression illimitée rend précisément possible. Quel que soit le choix politique (ou électoral) des classes populaires il ne peut donc leur offrir aucun moyen réel de s'opposer au système qui détruit méthodiquement leur vie.

À supposer que l'on possède un intérêt particulier à maintenir la fiction d'un antilibéralisme de gauche, on se retrouve donc inévitablement conduit à soutenir l'idée que la société moderne est le lieu d'une dialectique étrange et paradoxale. On doit nécessairement admettre, en effet, que plus le Marché devient autonome et déploie ses conséquences inhumaines, plus le Droit abstrait et la culture qui l'accompagne autorisent, à l'opposé, une émancipation sans précédent du genre humain. Traduit dans l'ancien langage marxiste, ce nouveau théorème fondateur de la gauche moderne revient donc à énoncer que, dans toute société libérale moderne, les « superstructures » juridiques et culturelles varient en sens inverse du mouvement inéluctable de l'« infrastructure » économique (c).

C'est dans ce cadre intellectuel précis qu'il convient d'apprécier l'ouvrage que Jacques Rancière a consacré à la haine de la démocratie17. L'intérêt majeur de cet essai, en effet, est de conférer à ce renversement singulier du matérialisme historique une formulation conceptuelle particulièrement brillante. De ce point de vue, ce petit livre constitue assurément le manifeste philosophique le plus intelligent que la gauche moderne ait produit afin de légitimer son nouveau cours. C'est pourquoi il est indispensable d'en dire brièvement un mot.

Le point de départ du texte est une mise en question radicale des thèses



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